Discours du Rectorat : Heidegger anti nazi (vidéo)

Publié le par jp

 Jacques Taminiaux commente le discours du Rectorat prononcé par Heidegger en 1933 et expose la critique par Arendt de la philosophie politique heideggerienne :


Hanna Arendt : déconstruire la pensée heideggerienne

 

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Source : « Akadem, Le campus numérique juif »

   
Le discours du Rectorat est contraire à l'idéologie nazie :
"On doit admettre que le discours du Rectorat ne correspond guère à l’idéologie nazie. En effet même s’il célèbre le Führerprinzip, comporte une allusion au slogan Blut und Boden, et ne cache pas les espoirs qu’il met dans la « révolution » en cours, ce discours s’avère être un remake circonstanciel du premier texte capital de la tradition de la pensée politique dont l’idéologie nazie, dans son principe même, entendait se débarrasser une fois pour toutes, à savoir la République de Platon. Pour l’essentiel ce discours intitulé "L’auto-affirmation de l’université allemande" est une célébration de la position normative de ce que Platon appelait theôria. (...)
Quelque soit l’équivoque de ce discours (…), force est de reconnaître qu’on y cherche en vain la trace d’une dogmatique naturaliste et d’un alignement sur la prémisse apodictique de l’idéologie nazie – la race parfaite – puisqu’en définitive le seul principe dont le texte se réclame est strictement ontologique et de caracère interrogatif : l’être de l’étant est digne de question. Il souligne que « quiconque guide doit reconnaître à ceux qui le suivent leur force propre » et même leur capacité de « résistance »."
J.Taminiaux, Avant propos à "Art et événement" , Belin p.9 sqq.
 
Rien n’est moins nazi en effet que de dire que le « guide », c'est-à-dire le Führer auquel Heidegger fait allusion ici, a le devoir de laisser au peuple sa liberté :
"Diriger implique en tout état de cause que ne soit jamais refusé à ceux qui suivent le libre usage de leur force. Or suivre comporte en soi la résistance. Cet antagonisme essentiel entre diriger et suivre, il n'est permis ni de l'atténuer ni surtout de l'éteindre." 

M.Heidegger, Ecrits politiques Gallimard p.109
Aussi surprenant que cela paraisse, la pensée politique ici esquissée est un acte de résistance au totalitarisme. Mais J.Taminiaux ne semble pas tirer les conséquences de sa propre interprétation, tout comme la majorité de ses collègues de l'université.

Appendice au "cas Heidegger" : le cas des universitaires français
Il est surprenant de voir que malgré cette interprétation on ne peut plus à décharge, J.Taminiaux n'en campe pas moins sur la position habituelle de l'université : 

On sait que cette compromission dont nous pensons avec le regretté Dominique Janicaud qu’elle jette une ombre sur toute la pensée de Heidegger eut ceci de très particulier qu’elle émanait d’un philosophe et non d’un idéologue, comme il est aisé de le constater à la lecture du texte qui en est le symptôme le plus évident, le fameux discours de rectorat qu’il prononça à Fribourg en 1933.

(J.Taminiaux, Avant propos à "Art et événement")

L’auteur contredit ainsi sa propre interprétation. Le discours, sensé être ici « le symptôme le plus évident » de la compromission avec le nazisme, est décrit ailleurs comme un appel à la résistance : une tentative pour maintenir ce que les nazis détestaient le plus, une vie politique et philosophique. Le discours du Rectorat est en effet selon Taminiaux « un remake circonstanciel de la République de Platon dont l’idéologie nazie, dans son principe même, entendait se débarrasser une fois pour toutes ».
Comment peut-on être nazi et soutenir le contraire du nazisme ? Il y a là une incohérence incompréhensible que J.Taminiaux ne relève pas du tout. 

De plus, tout en donnant une interprétation philosophique très poussée du discours, il refuse de "le trouver magnifique comme François Fédier", et la raison donnée est le nationalisme présent dans le texte - alors qu'être nationaliste en Allemagne après la première guerre ne voulait pas dire être conservateur comme en France, au contraire. Taminiaux cherche tous les prétextes pour ne pas "dédouaner Heidegger" comme on dit. Taminiaux va jusqu'à se servir de la pensée de Arendt pour dire que la philosophie politique de Heidegger flirte avec la tyrannie - alors que quand Arendt dit cela, elle parle de tous les philosophes sans exception depuis Platon. Toujours ce souci de laisser une "ombre" - comme il dit - planer sur Heidegger, tout en sauvegardant sa philosophie.

En cela il se comporte comme la majorité des universitaires qui en faisant le grand écart cherchent le statut-quo. Mais comment peut-on ainsi ménager la chèvre et le chou, et imaginer dans le même individu une alliance contre-nature du nazisme et de la philosophie ?

Si un penseur est nazi, il semble normal d’en restreindre l’accès à un public averti. E.Faye ne fait en disant cela que tirer les conclusions qui s’imposent une fois qu’on a jugé Heidegger coupable de nazisme. Or les professeurs d’université reconnaissent eux-mêmes pour les plus modérés un « nazisme temporaire » de Heidegger, ou "nazisme ordinaire" selon B.Cassin. Mais ils s'écrient en même temps qu'on ne doit pas jeter l’opprobre.

Ainsi de C.Romano qui reconnait sur France Culture l'adhésion au nazisme et en même temps réfute complètement le livre de Faye et rejette violemment sa volonté de mettre Heidegger à l'index. Il ne comprend pas non plus que F.Fédier puisse dire que "Sieg Heil !" dans la bouche de Heidegger en 33 signifie un appel à la paix (alors que tout simplement c'était le cas pour la majorité des Allemands à cette époque  voir
"Quand Hitler était pacifiste" Hitler menteur (Heidegger et Mein Kampf) :

- C.Romano sur France Culture

(attention à la musique de fond lors de la lecture du discours du Rectorat : il n'y a visiblement rien à relever de suspect, mais la mise en scène est là pour suggérer qu'il doit y avoir quelque chose).

- Autre exemple : J.C.Milner, auteur de Juif de savoir, se réclame de Heidegger. "Je ne peux que constater l’importance qu’a eue, jusqu’au bout, la pensée de Heidegger pour les juifs de savoir. Je ne peux que constater un autre fait: au sujet des chambres à gaz, la seule phrase proprement philosophique que je connaisse est due à Heidegger."  Et en même temps il déclare : "Je ne suis pas de ceux qui atténuent la portée de l’adhésion que Heidegger donna au parti nazi. Au contraire, je la crois essentielle. De même, je ne pense pas que son passage au rectorat fût un accident de parcours; au contraire, je crois qu’il était une consé­quence nécessaire de sa pensée." Selon lui on peut donc avoir dénoncé l'horreur absolue avec une lucidité inégalée et être essentiellement et nécessairement nazi !
http://noelpecout.blog.lemonde.fr/2006/12/14/le-monde-a-venir-quelques-echanges-avec-milner/

D’où vient donc cette incohérence logique chez nos philosophes, incapables apparemment de faire une équation aussi simple que celle du Général de Gaulle à propos de Paul Touvier? A quelqu’un qui lui parlait de ce collaborateur zélé, le Général répondit, lapidaire : « Touvier ? Douze balles dans la peau ». C'est là le sort qu'on ne peut que souhaiter à tous les nazis (voir - à jeun - B.Muller-Hill, « Science nazie, science de mort » "Science nazie" par B.Müller-Hill ).
Un éminent professeur de la Sorbonne a ainsi cru devoir se désolidariser publiquement d’un livre qui refusait de présenter Heidegger comme un nazi. Soit. Mais pourquoi dans le même temps ce professeur lorsqu’il parle de son parcours intellectuel se vante-t-il d’avoir participé aux séminaires de Heidegger organisés par F.Fédier en Provence ? Si Heidegger était un nazi, que n’a-t-il profité de l’occasion pour le dénoncer à la justice ? Personnellement, je n’aurais pas assisté à de tels séminaires, ou en tout cas me serais bien gardé de le crier sur les toits.

Cette invraisemblable réaction de clémence des universitaires envers un penseur qu'ils laissent taxer de nazisme montre que la plupart des gens n’ont en fait pas de représentation nette de ce qu’est et fut la nazisme, à savoir : le mal absolu. Parler par exemple de "compromission temporaire" est révélateur. Comme si on pouvait ne se compromettre que partiellement avec l'horreur nazie. De même l'idée selon laquelle il faudrait séparer la vie et l'action d'un philosophe d'avec sa pensée métaphysique. 

François Fédier n'a cessé de s'insurger contre cette idée d'un dédoublement qu'on n'a pas hésité à rapprocher de "Dr Jekyll et Mr Hyde" de Stevenson. [Quand les philosophes font appel à la science fiction, on peut se poser des questions - pourquoi pas Darth Vader dans Star Wars pendant qu'on y est? L'idée de l'"ombre" qui planerait sur la pensée de Heidegger (dixit Taminiaux) fait d'ailleurs fortement penser au mystérieux - et fascinant - "côté obscur" du film. Nos philosophes nagent en pleine mystique et sont même soupçonnables d'une certaine fascination pour l'idée que Heidegger serait border-line.]

Un nazi dans la vie est forcément aussi un nazi dans la tête. Bref : un nazi est un nazi. Il y a des tautologies qu'il faut inlassablement répéter. On ne peut pas être à moitié nazi. Faye a parfaitement le droit de dire que si Heidegger a été nazi en 33, il l'a été tout le reste de sa vie. Lui et Fédier sont en fait les seuls à tenir un discours cohérent sur le sujet : ou bien Heidegger est nazi et il faut le traiter comme tel, ou bien il n'a jamais été ni nazi ni fasciste et on peut enseigner sa philosophie en Terminale.
 

Publié dans Le "cas Heidegger".

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T
Oui j'en ai deja parcouru une bonne partie, mais ma remarque concernait le rapport plus général de notre société à l'idéologie Nazie. Un rapport encore bien flou et ambigu qu'illustre, entre autres, cette polémique autour de Heidegger.
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J
on a rassemblé pas mal d'éléments déjà sur la page Documents sur le nazismeet :Heidegger nazi? par F.Fédier et S.Zagdansky (vidéo)
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T
"Si ! Nazi veut dire SS. Quoique... En tout cas c'est là dessus qu'il faut se mettre d'accord sinon on ne parle pas de la même chose. Vous avez mis le doigt sur le problème central de toute l'affaire ! Un système totalitaire est fait de couches successives de plus en plus radicales et hermétiques, exactement comme une secte. La SS c'est le saint des saint, les "initiés". Nazi par contre c'est le nom de la couche la plus excentrée, la façade destinée à tromper le monde extérieur : le parti politique respectable. "Socialisme national" n'a rien à voir du tout avec le nazisme. Vous voyez ce que je veux dire? Heidegger est tombé dans le panneau, il y a cru tout seul et s'est inventé un socialisme national qui n'a jamais existé ailleurs que dans sa tête. Il n'a d'ailleurs jamais compris ce qui s'était passé. Il n'a jamais réussi à identifier après la guerre la façade respectable et l'horreur, "na-zi" et SS, socialiste patriote boy-scout et exterminateur fanatique.Mais quand on dit nazi aujourd'hui on pense à SS jamais à socialiste. Bien sûr Heidegger en un sens a été "nazi" en 33 mais tout mon travail a été de montrer que nazi en 33 dans le cas de la majorité des Allemands veut dire le contraire exact de nazi en 45 (SS) : pacifiste socialiste. Le cas Heidegger est une chance inouïe d'essayer de comprendre ce qui s'est passé en Allemagne : quelqu'un qui n'est pas du tout réactionnaire ou "facho", au contraire, pacifiste, progressiste etc. tout ce qu'on veut, a cru aux bobards de Hitler. On a gâché cette chance jusqu'à maintenant."Je souscris en grande partie, on a toujours pas regardé le nazisme en face pour voir qu'il n'avait pas qu'un seul visage et une seule cause. Parmi les nazis il y a eu des lâches, des fous furieux, des antisémites au dernier stade, des revanchards, des convaincus, des nationalistes, des anti-communistes, des anti-libéraux, des complètement à la masse, des influençables, des haineux, des idéalistes... Des manipulés et des manipulateurs, des conscients , des inconscients, des non-convaincus mais consentants selon le principe du "moindre mal".Tous ces gens se sont retrouvés à un moment ou un autre impliqués de manière plus ou moins active dans le mouvement national socialiste et pour l'instant rien de serieux n'a essayé d'analyser (ou du moins rien de médiatisé) ce que chacun a trouvé ou cru trouver dans le nazisme. Toute tentative d'explication se trouve aussi tôt taxée de complaisance où de minimisation du phénomène. Et poutant un sujet si sérieux ne saurait se contenter d'un traitement aussi expéditif et orienté. « À force d’expliquer l’inexplicable, on finit par justifier l’injustifiable » Mouais... on fini surtout par refuser de comprendre.A quand l'analyse contre-transferentielle de l'analyse du nazisme? Ca s'impose pourtant.
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J
A propos du livre de L.Adler, attention : il est souvent écoeurant de partialité. La pauvre petite juive abusée par le prof gourou génial et mégalo... Arendt, le bons sens incarné, abusée !? pas très sympa pour elle. et quand après la guerre Heidegger désespéré jure à Arendt que les rumeurs sont fausses, qu'il n'est pas antisémite et qu'une preuve est son amour pour elle, que dit Adler? Que cette appel aux sentiments est de mauvais goût, qu'il veut la manipuler ! bon exemple du "double-bind" carcatéristique des délires paranos : tu dis ça parce que tu penses le contraire. Heidegger peut dire ce qu'il veut, il est condamné d'avance. bravo Adler pour l'objectivité. Et à propos de Husserl, c'est une fâcherie à mort entre amis : rien de plus banal. Beaucoup de rumeurs circulent : qu'il lui a interdit l'accès à la fac et autres arocités - toutes fausses.
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J
Si ! Nazi veut dire SS. Quoique... En tout cas c'est là dessus qu'il faut se mettre d'accord sinon on ne parle pas de la même chose. Vous avez mis le doigt sur le problème central de toute l'affaire ! Un système totalitaire est fait de couches successives de plus en plus radicales et hermétiques, exactement comme une secte. La SS c'est le saint des saint, les "initiés". Nazi par contre c'est le nom de la couche la plus excentrée, la façade destinée à tromper le monde extérieur : le parti politique respectable. "Socialisme national" n'a rien à voir du tout avec le nazisme. Vous voyez ce que je veux dire? Heidegger est tombé dans le panneau, il y a cru tout seul et s'est inventé un socialisme national qui n'a jamais existé ailleurs que dans sa tête. Il n'a d'ailleurs jamais compris ce qui s'était passé. Il n'a jamais réussi à identifier après la guerre la façade respectable et l'horreur, "na-zi" et SS, socialiste patriote boy-scout et exterminateur fanatique.Mais quand on dit nazi aujourd'hui on pense à SS jamais à socialiste. Bien sûr Heidegger en un sens a été "nazi" en 33 mais tout mon travail a été de montrer que nazi en 33 dans le cas de la majorité des Allemands veut dire le contraire exact de nazi en 45 (SS) : pacifiste socialiste. Le cas Heidegger est une chance inouïe d'essayer de comprendre ce qui s'est passé en Allemagne : quelqu'un qui n'est pas du tout réactionnaire ou "facho", au contraire, pacifiste, progressiste etc. tout ce qu'on veut, a cru aux bobards de Hitler. On a gâché cette chance jusqu'à maintenant.
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