Cioran (5/5)

Publié le par Ritoyenne

Publié dans La philosophie en vie

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Je ne connais pas Jean Rostand, je n’ai jamais rien lu de lui. En revanche j’ai quasiment tout lu (et relu) de Cioran (1911-1995)…    A la seule lecture des citations données dans le commentaire précédent de Jean Rostand, on voit que le parallèle est évident !… Cela pourrait sûrement mériter une étude entière... Pour en donner des exemples, en reprenant la plupart des quelques citations données précédemment de Jean Rostand, j’ai ajouté à leur suite d’autres citations de Cioran qui me sont venus à l’esprit en les lisant.   I) ROSTAND : « C’est l’inerte qui l’emporte dans l’univers, et non le vivant. Mourir, c’est passer du côté du plus fort. »  = Cioran dans La tentation d’exister (1956), Chap. « La tentation d’exister » :« La vie, loin d’être, comme le pensait [le biologiste de] Bichat, l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort, est plutôt l’ensemble des fonctions qui nous y entraînent. » + dans Cahiers, p193 :« La vie – c'est l'équilibre en deuil. »  + dans la Chute dans le temps (1964), Chap. « Sur la maladie » :« La vie, c'est un soulève­ment à l'intérieur de l'inorganique, un essor tragique de l'inerte,la vie, c'est de la matière animée et, il faut bien le dire, ruinée par la dou­leur. A tant d'agitation, à tant de dynamisme et d'affairement, on n'échappe qu'en aspirant au repos de l'inorganique, à la paix au sein des éléments. La volonté de retourner à la matière fait le fond même du désir de mourir. Au contraire, avoir peur de la mort, c'est craindre ce retour, c'est fuir le silence et l'équilibre de l'inerte, l'équilibre surtout. Rien de plus natu­rel il s'agit là d'une réaction de vie, et tout ce qui participe de la vie est, au propre et au figuré, déséquilibré. » + dans Le Mauvais Démiurge (1969), chap. « Paléontologie » :« C’est un signe d’éveil que d’avoir l’obsession de l’agrégat, le sentiment de plus en plus vif d’être tout juste le lieu de rencontre de quelques éléments, soudés pour un instant. » + dans Le Mauvais Démiurge (1969), Chap. « Pensées étranglées », II :« Que l’on envisage l’individu ou l’humanité dans son ensemble, on ne doit pas confondre avancer et progresser, à moins d’admettre qu’aller vers la mort ne soit un progrès. » + dans Écartèlement (1979), Chap. « Ébauches de vertige »,IV :« La mort est ce que la vie a inventé jusqu’ici de plus solide. » II) ROSTAND : « Sans se faire illusion sur le fond des choses, il est des esprits qui s’évertuent à en agrémenter la surface par des gracieusetés verbales. Pas de fioritures sur le néant. Et puisqu’on n’a rien à nous dire qui vaille, qu’on nous laisse goûter en paix l’âcreté loyale du désespoir. » = Cioran dans La tentation d’exister (1956), en conclusion du Chap. VII « Le style comme aventure » : « Toute idolâtrie du style part de la croyance que la réalité est encore plus creuse que sa figuration verbale, que l’accent d’une idée vaut mieux que l’idée, un prétexte bien amené qu’une conviction, une tournure savante qu’une irruption irréfléchie. Elle exprime une passion de sophiste, de sophiste des Lettres. Derrière une phrase proportionnée, satisfaite de son équilibre ou gonflée de sa sonorité, se cache trop souvent le malaise d’un esprit incapable d’accéder par la sensation à un univers originel. Quoi d’étonnant que le style soit tout ensemble un masque et un aveu ? » + dans Cahiers, p149 :« Qui a le sentiment du temps s'accrochera d'autant mieux à ce qui y résiste, à ce qui en transcende la fragilité. À de rares exceptions ­près, tous les fervents de la forme ont une conscience aiguë de la futilité universelle, du rien des actes et de la vie comme telle. C’est pour s'accrocher à quelque chose de solide, de durable, qu’ils misent sur les mots et qu'ils s'en servent.Le goût de la perfection laisse entrevoir quelque blessure secrète. Plus on est atteint par le temps, plus on veut y échapper. Écrire une page irréprochable, une phrase seulement, cela vous élève au-dessus des corruptions du devenir. Nous triomphons de la mort, par la hantise de la perfection, par la recherche passionnée de l'indestruc­tible à travers le verbe, à travers le symbole même de la cadu­cité. » * * Repris dans De l’inconvénient d’être né (1973), chap. II : « Plus on est lésé par le temps, plus on veut y échapper. Écrire une page sans défaut, une phrase seulement, vous élève au-dessus du devenir et de ses corruptions. On transcende la mort par la recherche de l’indestructible, à travers le verbe, à travers le symbole même de la cadu­cité. »III) ROSTAND : « L’homme n’est rien moins que l’œuvre d’une volonté lucide, il n’est même pas l’aboutissement d’un effort sourd et confus. Les processus aveugles et désordonnés qui l’ont conçu ne recherchaient rien, n’aspiraient à rien, ne tendaient vers rien, même le plus vaguement du monde. Il naquit sans raison et sans but, comme naquirent tous les êtres, n’importe comment. » = Cioran dans Cahiers, p456, 386, 534 :« Chaque être émerge d'on ne sait où, pousse son petit cri et disparaît sans laisser de trace. » (p456)  « Il faut que chacun épuise la dose de folie qui lui fut départie à sa naissance et qu'ensuite, il disparaisse. » (p386)  « L'entreprise de vivre et de mourir aurait-elle une base réelle, serait-elle autre chose qu'une illusion étoffée, qui la mènerait jus­qu'au bout ? Ce qui la rend alléchante, c'est sa nullité intrinsèque et sa qualité d'univers. Elle est tout parce qu'elle n'est rien. »(p534) + Dans Aveux et anathèmes (1987), chap. Fractures :« La mission de tout un chacun est de mener à bien le mensonge qu’il incarne, de parvenir à n’être plus qu’une illusion épuisée. »IV) ROSTAND : « Sommes-nous en droit de vanter la beauté des choses naturelles ? Tout ce que nous pouvons c’est constater que la nature, quand s’y ajoute l’œil humain, forme quelque chose de bien émouvant, pour l’homme (..). » = Cioran dans Bréviaire des vaincus (1940-1944), §26 :« Le réel est une féerie d'apparences qui nous charment aussi longtemps que notre chanson s'accorde au rythme de leur danse. Sans notre connivence, le voile flottant sur le spectacle nommé vie se déchire, et de l'illusion qui nous brouillait la vue il reste quelques lambeaux floconneux, à peine des ombres du réel chimérique. (…)Tout ce qui nous entoure est un artifice décoratif issu de notre musique intérieure. » V) ROSTAND : « L’espèce humaine passera, comme ont passé les dinosauriens et les stégocéphales… Alors, de toute la civilisation humaine ou surhumaine, découvertes, philosophies, idéaux, religions, rien ne subsistera… En ce minuscule coin d’univers sera annulée pour jamais l’aventure falote du protoplasma, aventure qui déjà, peut-être, s’est achevée sur d’autres mondes, aventure qui en d’autres mondes peut-être se renouvellera. Et partout soutenue par les mêmes illusions, créatrice des mêmes tourments, partout aussi absurde, aussi vaine, aussi nécessairement promise dès le principe à l’échec final et à la ténèbre infinie. » = Cioran dans Cahiers, p354, p537 : « L'homme passera. » (p354) « L'espèce, la nôtre, doit disparaître et elle disparaîtra beaucoup plus tôt qu'on ne pense. Je crois dur comme fer à la future sous­-humanité. De même que les grands sauriens s'écroulèrent sous leur masse, de même l'homme succombera à son ambition, à ses crimes, et à son génie. » (p537) * * Repris dans Aveux et anathèmes (1987), chap. « Exaspérations » :« L’homme va disparaître, c’était jusqu’à présent ma ferme conviction. Entre-temps j’ai changé d’avis : il doit disparaître. »+ dans Cahiers, p915 :« Je ne suis pas réactionnaire, j'admets toutes les réformes et toutes les révolutions qu'on voudra. Mais n'exigez pas de moi de croire que l'Histoire ait un sens et l'humanité un avenir. L'homme pas­sera de difficultés en difficultés ; et il en sera ainsi, jusqu'à ce qu'il en crève. »
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Un autre qui a poussé la lucidité jusqu'au bout c'est Jean Rostand:<br /> <br /> « C’est l’inerte qui l’emporte dans l’univers, et non le vivant. Mourir, c’est passer du côter du plus fort. »<br /> <br /> « Sans se faire illusion sur le fond des choses, il est des esprits qui s’évertuent à en agrémenter la surface par des gracieusetés verbales. Pas de fioritures sur le néant. Et puisqu’on n’a rien à nous dire qui vaille, qu’on nous laise goûter en paix l’âcreté loyale du désespoir. »<br /> <br /> « Ne pas croire qu’une chose existe parce qu’il serait trop horrible qu’elle n’existât pas. Il n’y a pas de preuve par l’horrible. »<br /> <br /> « Rien ne compte, et pas même toutle sombre courage dont on pourrait faire parade là-devant. »<br /> <br /> « L’homme n’est rien moins que l’œuvre d’une volonté lucide, il n’est même pas l’aboutissement d’un effort sourd et confus. Les processus aveugles et désordonnés qui l’ont conçu ne recherchaient rien, n’aspiraient à rien, ne tendaient vers rien, même le plus vaguement du monde. Il naquit sans raison et sans but, comme naquirent tous les êtres, n’importe comment. »<br /> <br /> « Sommes-nous en droit de vanter la beauté des choses naturelles ? Tout ce que nous pouvons c’est constater que la nature, quand s’y ajoute l’œil humain, forme quelque chose de bien émouvant, pour l’homme (..). »<br /> <br /> « L’espèce humaine passera, comme ont passé les dinosauriens et les stégocéphales… Alors, de toute la civilisation humaine ou surhumaine, découvertes, philosophies, idéaux, religions, rien ne subsistera… En ce minuscule coin d’univers sera annulée pour jamais l’aventure falote du protoplasma, aventure qui déjà, peu-être, s’est achevée sur d’autres mondes, aventure qui en d’autres mondes peut-être se renouvellera. Et partout soutenue par les mêmes illusions, créatrice des mêmes tourments, partout aussi absurde, aussi vaine, aussi nécessairement promise dès le principe à l’échec final et à la ténèbre infinie. »
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